Quand l'école n'a pas de prix* A Islamabad, une école afghane s'efforce d'offrir à de jeunes réfugiés la possibilité d'étudier, malgré un contexte difficile et des moyens très limités. Très peu d'Afghans réfugiés au Pakistan ont l'opportunité de faire des études, et nombreux sont ceux qui ne reçoivent même pas une éducation basique, telle qu'apprendre à lire et écrire. Les écoles publiques pakistanaises étant déjà surchargées, ils n'y sont tout simplement pas admis. Des écoles afghanes sont donc nées pour accueillir les rares enfants qui ne sont pas obligés de travailler dix heures par jour pour survivre. Mais comme toute école privée, elles doivent généralement pratiquer des frais de scolarité trop élevés pour les réfugiés. A Islamabad, capitale du Pakistan, l'une d'entre elles s'emploie pourtant à en accueillir le plus possible, et à donner aux plus modestes la même chance qu'aux autres. Avec des moyens extrêmement limités, le directeur d'Estiqlal Lycee et l'équipe enseignante ont réussi à bâtir une école telle qu'on la rêve, où des gamins venus d'un pays en guerre peuvent enfin espérer trouver un refuge et s'épanouir. Aller à l'école, et tenter d'oublier sa condition de réfugié L'école Estiqlal est née en 1919 à Kaboul en Afghanistan, l'année de la victoire des Afghans contre les Britanniques. "Estiqlal" signifie d'ailleurs "libération". C'est une délégation diplomatique française qui eut l'initiative de créer cette école privée, peut-être pour contrer l'influence britannique dans le pays. Mais la guerre est passée par là et l'école a fermé, comme toutes les autres. Une école "succursale", Estiqlal Lycee, a ouvert ses portes en 1997 à Islamabad pour accueillir les enfants d'Afghans réfugiés, ou plutôt déplacés, fuyant leur pays dévasté par la guerre civile. L'université de Kaboul en ruines (source:RAWA) | Prévenue deux heures plus tôt de notre visite, l'école nous a réservé un accueil digne d'un premier ministre. Des élèves tout sourires, en haies d'honneur respectueuses et fiers de porter l'uniforme de leur école. Des mots gentils et des fleurs pour nous remercier d'être venues. Il faut dire que beaucoup d'enfants ici apprennent le français et prennent visiblement plaisir à accueillir un peu de ce pays lointain chez eux. Cette chaleur et cette dignité, et l'impression que ces enfants sont heureux d'être ici, contrastent avec les conditions assez rudimentaires dans lesquelles ils étudient. Peu de moyens, mais beaucoup de bonne volonté L'école accueille de plus en plus d'élèves (60 au départ, 266 aujourd'hui), mais les locaux, eux ne s'agrandissent pas. Au deuxième étage d'un immeuble triste et sale, nous sommes obligées de déranger des cours pour passer d'une salle à une autre, toutes aussi petites les unes que les autres. Un cagibi sert de labo pour les cours de physique, chimie, biologie, et même d'infirmerie. Sur le toit de l'immeuble, on a construit le bureau du directeur, Salehie Mohammed Sharif. Le reste de la terrasse doit être aménagé pour servir de cour de récré. Pour l'instant, les enfants ne peuvent pas sortir des salles de classe pendant les pauses. La cour leur permettra aussi de faire du sport, notamment aux filles, qui sont obligées, au Pakistan, de se mettre à l'abri des regards si elles veulent taper dans un ballon. Par rapport à ce que nous avons pu voir au Pakistan et ce que nous avons entendu sur l'Afghanistan, la politique d'Estiqlal peut être qualifiée de progressiste. Les classes sont mixtes et le directeur veut faire faire du sport aux filles. Pas de voile pour elles, le même uniforme pour tous. Celui-ci permet aux élèves venant de différentes origines sociales de se retrouver sur un pied d'égalité dès qu'ils entrent dans l'école. En effet, certains sont obligés de travailler après les cours, comme vendeurs de rue par exemple. Pour accueillir ces enfants pauvres, Estiqlal pratique des frais de scolarité peu élevés: 150 rupees par mois, soit moins de 20F. Comme ce montant est déjà trop élevé pour certaines familles, une donatrice américaine a décidé de "parrainer" en quelque sorte ces enfants en payant les frais de scolarité à leur place. Ces maigres moyens ne suffiraient pas à Estiqlal pour survivre. Le directeur doit faire appel à des fonds extérieurs. Le Ministère français de l'éducation a aidé l'école à hauteur de 40.000F en 2001, en plus du don de nombreux manuels scolaires, notamment pour l'enseignement du français. Une ONG britannique, Ashram International, rassemble également des fonds pour soutenir cette initiative, parmi d'autres. Elle lui a notamment fourni quelques ordinateurs qui permettent aux élèves de se familiariser avec l'informatique. Des enfants conscients de leur chance Le budget est malgré tout géré de façon draconienne. Les professeurs sont bénévoles et travaillent en-dehors pour gagner leur vie. Le directeur, qui consacre tout son temps à essayer de faire tourner Isteqlal, ne prend pas non plus de salaire. Il ne peut s'en passer que parce que l'un de ses proches parents a des revenus suffisants pour subvenir à ses besoins. Les locaux étant réduits au minimum vital, les élèves ne peuvent assister qu'à 4 heures de cours par jour. La moitié étudie le matin, l'autre moitié l'après-midi. Malgré ces conditions difficiles, les élèves font preuve d'une curiosité et d'une volonté d'apprendre impressionnantes. Ils apprennent tous l'anglais ou le français et sont nombreux à profiter de notre visite pour s'exercer. Les enfants d'une classe de 12 à 15 ans nous posent timidement des questions sur notre voyage et nos études. En fait, ils nous paraissent surtout très sages et attentifs, excessivement disciplinés par rapport aux turbulents collégiens français. Le directeur nous explique que s'ils font du bruit et dérangent les voisins, et si ceux-ci s'en plaignent, les autorités pakistanaises peuvent décider de fermer l'école du jour au lendemain. Les élèves sont certainement trop conscients de la chance qu'ils ont d'étudier pour prendre le risque de la gâcher. Des enfants afghans à Peshawar au Pakistan, n'ayant certainement pas la chance d'aller à l'école (source:RAWA) | Quant à la situation actuelle de l'Afghanistan, il n'en sera jamais question à moins que nous ne posions la question. Ainsi, une petite fille nous confie qu'elle aimerait retourner en Afghanistan, mais en aucun cas tant que la situation n'aura pas changé. Sans doute ces enfants ont-ils tous la même aspiration, mais la guerre et les Talibans ne semblent pas pour autant être l'objet des discussions courantes. D'après le directeur, il vaut mieux aider ces enfants à oublier pour leur permettre d'avancer, plutôt que remuer le couteau dans la plaie, surtout pour ceux qui ont souffert, en perdant un parent par exemple. C'est un parti pris complètement opposé à celui des membres de RAWA, l'association de femmes afghanes luttant contre le fondamentalisme, sur laquelle nous avons écrit plusieurs articles. Ces femmes ont peut-être essayé d'oublier et n'ont pas réussi, ou bien peut-être n'ont-elles même pas envie d'essayer. Elles ont en tout cas fait un choix: faisant passer au second plan leur avenir personnel, elles mettent leur énergie au service d'une cause qui concerne toute la population afghane, l'élimination définitive de tout fondamentalisme. Cette lutte, c'est le sens qu'elles ont choisi de donner à leur vie, presque leur raison d'être. Ils veulent juste retrouver un semblant de vie normale Lorsque nous lui avons demandé son avis sur RAWA, le directeur n'a pas commenté la nature de cet engagement, mais a critiqué certaines de ses conséquences. La dernière manifestation de RAWA, le 10 décembre 2000 à Islamabad, a subi une attaque que l'association incombe aux Talibans. La police pakistanaise, manifestement complice, a arrêté un certain nombre d'Afghans, à la suite de ces affrontements. Une partie d'entre eux, nous explique le directeur, était des habitants du quartier qui ne cautionnaient pas particulièrement l'action de RAWA. Des militantes de RAWA manifestent (source:RAWA) | Plus que la police pakistanaise, il considère l'association comme principale responsable de ces arrestations injustes. D'après lui, les leaders de RAWA ne réfléchissent pas assez aux conséquences de leurs actions sur l'ensemble des Afghans réfugiés: ceux qui ne sont pas du tout d'accord avec les opinions très tranchées de l'association, d'une part, mais aussi ceux qui souhaitent seulement retrouver un semblant de vie normale, parce qu'ils ne se sentent ni l'envie ni le courage de se battre pour leur pays. Ce sont ceux-là que Monsieur Mohammed Sharif a choisi d'aider. On peut certes contester sa volonté de faire abstraction d'une situation inacceptable, mais il faut peut-être admettre que la mémoire de tels évènements, si elle est stimulante pour certains, peut se révéler paralysante pour d'autres. C'est aussi un pari moins ambitieux et moins risqué que celui de RAWA, mais qui tente tout simplement de combler une autre attente et arrive à y répondre efficacement. Sans chercher à changer le monde, les enfants d'Isteqlal s'emploient juste à profiter de ce bien, si rare parmi les jeunes Afghans aujourd'hui, qu'est l'éducation. Auteur: Chacha Si vous voulez obtenir plus de renseignements ou leur envoyer un petit mot d'encouragement, voire les aider d'une manière ou d'une autre, contactez le directeur à estiqlal2001@yahoo.com. *NB: N'ayant pas de photos de l'école, ni des enfants, j'ai choisi quelques photos des brochures de RAWA en lien avec le sujet et les arguments de l'article. |